<[endif]-->


Trilinguisme & Développement Cognitif





Vivre dans un environnement bilingue constitue un véritable atout pour les jeunes enfants.

On s'en doutait un peu, mais c'est ce que demontre une étude récente conduite par l'université de l'Oregon, aux États-Unis, et que mentionne le quotidien britannique The Independent. Les recherches scientifiques ont démontré les effets cognitifs sur le fonctionnement du cerveau de l'enfant bénéficiant d'une éducation bilingue : la plasticité cérébrale confère à l'enfant un réel avantage dans son apprentissage du langage. En outre, ce haut degré de compétence se poursuit tout au long de la vie. Ces transformations sur la structure du cerveau sont même appelée par les linguistes , «le cerveau bilingue ». Le bilinguisme est pratiqué par 60 % de la population mondiale et prèe de 35 % Au Canada.

«En fait, la normalité humaine, c'est d'être plurilingue. C'est de parler deux langues, trois langues, quatre langues ».
Pheadra Royle, linguiste à l'Université de Montréal



L'enfant champion du bilinguisme

Contrairement à des idées recues, Le bilinguisme ne nuit pas à l'enfant.Bien au contraire : son cerveau est à cet âge capable d'intégrer un enseignement bilingue ou trilingue sans difficultés. Les limitations cérébrales s'installent avec l'âge. Dans son laboratoire de l' école d'orthophonie et d'audiologie de la Faculté de Médecine de l'Université de Montréal, Pheadra Royle étudie, entre autres, l'impact du bilinguisme chez les enfants qui entrent à  l'école primaire. Certains ont craint que le bilinguisme puisse nuire au bon apprentissage de la langue apprise à l'école. Ces inquiétudes se sont révélées fausses, et bien au contraire les scientifiques, spécialistes du langage et de l'apprentissage de l'enfant conviennent que les enfants [bilingues] sont aussi bons que les enfants unilingues et ont même certains avantages , c'est ce que confirme Pheadra Royle à la lumière de ses études. Son équipe a découvert que les enfants bilingues maàtrisent un peu mieux que les unilingues la conjugaison des verbes irréguliers, comme lire et perdre par exemple. Dans un premier temps,le vocabulaire peut être parfois réduit dans chacune des deux langues, mais au total ce vocabulaire sera plus riche globalement que celui d'un enfant unilingue. Le véritable avantagé du bilinguisme réside dans les atouts cognitifs conférés par le bilinguisme . Il ne s'agit pas d'un quotient intellectuel supérieur, mais bien un bénéfice au niveau des fonctions cognitives que l'on appelle les fonctions exécutives. Diane Poulin-Dubois, professeure de psychologie à  l'Université Concordia On relève plus particulièrement une meilleure attention sélective, un avantage au niveau de la concentration, de la planification et de la résolution de problème. Une nouvelle étude démontre que les enfants qui parlent deux langues bénéficient d' avantages décisifs en fait de capacité d'attention et d'aptitudes scolaires.
La pratique de deux ou trois langues à  la fois améliore la flexibilité mentale et psychique de l'enfant. c'est ce qui est nommé â «code switching», en langage neurologique : c'est-à -dire de l'alternance des codes linguistiques. Le cerveau de l'enfant bilingue développe le contrôle inhibiteurâ, c'est à  dire l'aptitude à  ne pas agir sous le simple effet d'une impulsion, celui des âfonctions exécutivesâ autrement dit les capacités cognitives qui permettent d'organiser pensées et comportements â ainsi que celui des capacités d'attention.
â «Dans un environnement bilingue, l'enfant fonctionne avec les deux langues en état d'activation constante. Pour utiliser une langue, il inhibe l'autre. C'est une transition constante entre les deux langues. à a demande une véritable gymnastique de contrôle â», affirme la chercheuse Diane Poulin-Dubois, qui étudie et constate ce phénomène chez des enfants aussi jeunes que deux ans. Ces compétences de l'enfant sont en revanche plus difficile à  oberserver chez l'adulte qui a atteint ses limites cognitives.
Pour Ana Inés Ansaldo, neuroscientifique au Centre de recherche de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal, le bilinguisme - quelles que soit les langues parlées â a un impact sur la façon dont nous utilisons notre cerveau et notre façon de communiquer.


Devenir parfait bilingue à tout âge?



Le neurolinguiste Karsten Steinhauer de l'Université McGill s'intéresse à  un concept qui existe depuis des décennies en linguistique : la période critique.
La période critique représente la difficulté que rencontre une personne qui apprend une langue tardivement, soit après la puberté, entre 9 et 12 ans. On dit qu'après cet âge vous ne pouvez acquérir une deuxième langue à  un très haut niveau de compétence â», affirme ce neurolinguiste qui travaille depuis des années dans son laboratoire à  examiner ce concept à  l'aide d'expériences qui mesurent l'activité cérébrale.


Le bilinguisme et l'effet neuroprotecteur au vieil âge


De récentes études ont démontré que le bilinguisme retarde de quatre à  cinq ans l'apparition des symptômes chez les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer.
Ces résultats encouragent Ana Inés Ansaldo, neuroscientifique au Centre de recherche de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal, qui étudie les liens entre le langage, le vieillissement et le cerveau.
Dans son laboratoire, on étudie entre autres l'effet neuroprotecteur du bilinguisme sur le cerveau rendu au vieil âge.
Elle et son équipe ont démontré, dans une expérience utilisant l'imagerie par résonnance magnétique, que le cerveau des personnes bilingues n'a pas à  utiliser les régions du lobe frontal responsables de l'analyse et de la prise de décision lorsqu'elles doivent exécuter des tâches qui demandent de faire des choix, comme entre des objets de différentes couleurs qui se déplacent dans l'espace, ce que font les personnes unilingues.
Les bilingues n'utilisent que les régions postérieures du cerveau, les aires que l'on appelle visuospatiales, des aires qui sont chargées du traitement des stimuli et des déplacements dans l'espace.
«C'est qu'une vie entière à  constamment passer d'une langue à  l'autre fait appel au contrôle inhibiteur, dans des situations o๠il faut gérer des interférences et des codes différents â», explique la neuroscientifique Ansaldo, L'évaluation du contrôle inhibiteur chez les enfants bilingues a été réalisée lors d'une expérience conduite par l'équipe du Dr Ana Inés Ansaldo, neuroscientifique au Centre de recherche de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal :
Le principe de l'expérience paraàt très simple : il s'agissait de demander aux enfants de frapper deux coups avec un crayon quand l'expérimentateur frappait un seul coup et inversement. Une règle du jeu qui nécessite que l'enfant soit capable d'inhiber l'impulsion qui le porte à  imiter ce que fait l'expérimentateur et à  faire plutôt le contraire.
Les enfants ont été divisés en trois groupes : ceux qui parlaient uniquement l'anglais, ceux qui parlaient espagnol et anglais et ceux qui ne parlaient que l'espagnol au début de l'étude mais qui parlaient couramment l'une et l'autre langue au terme de l'étude. âès le début de l'étude, le groupe qui était déjà  bilingue a obtenu un score supérieur à  celui des deux autres groupesâ, explique l'auteure principale de l'étude, Jimena Santillà¡n.
Nouvelles évaluations six mois plus tard, puis au bout de dix-huit mois : le groupe bilingue et le groupe des enfants en cours d'apprentissage d'une seconde langue ont montré tous deux un développement du contrôle inhibiteur nettement plus rapide que celui des jeunes locuteurs parlant uniquement l'anglais. “Contrôle inhibiteur et fonctions exécutives sont des compétences décisives pour la réussite scolaire, précise Atika Khurana, coauteure de l'étude. Mais ces capacités cognitives ont aussi des effets positifs sur la santé et le bien-être plus tard dans la vie.â De même, des recherches récentes montrent que l'acquisition précoce de plusieurs langues étrangères a des répercussions sur la structuration du cerveau.

La recherche des spécificités du »cerveau bilingue » est un thème attractif et médiatique. Il suffit d´ évoquer les nombreuses questions qui surgissent à  ce propos : comment le cerveau peut-il accueillir plusieurs langues ? Le cerveau bilingue est-il différent du cerveau monolingue ? Comment le cerveau change-t-il sous l'influence de l'apprentissage d'une deuxième ou de plusieurs autres langues ? Les études neurocognitives récentes, en relation avec les travaux sur la perception, la mémoire et l'attention, ont démontré une neuroplasticité* permanente du cerveau adulte dans l'apprentissage du langage qui n'aurait pu être imaginée il y a quelques années. le développement des neurosciences cognitives depuis les années 1990, et l'utilisation des méthodes de neuroimagerie qui progressent très rapidement ont révélé une organisation plus complexe et plus distribuée des fonctions langagières dans le cerveau. Parmi les différentes méthodes d'imagerie cérébrale, deux sont particulièrement utilisées : l'imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRMf), qui se fonde sur les variations du flux sanguin au sein des différentes aires cérébrales, et l'analyse électrique du cerveau par le recueil de différentes ondes, les potentiels évoqués (PE) enregistrés à  la surface du scalp grâce à  des électrodes La question centrale des recherches en imagerie (IRMf) est de savoir si le traitement du langage natif (L1) et de la langue seconde (L2) implique ou non les mêmes systèmes cérébraux. l'une des recherches princeps est celle de Karl Kim (1), centrée sur le rôle de l'âge d'acquisition. Deux groupes de bilingues sont comparés : bilingues précoces ayant acquis les deux langues dans la petite enfance, et bilingues tardifs exposés à  une seconde langue à  l'entrée dans l'âge adulte. Chez les bilingues précoces, les deux langues donnent lieu à  des activations dans la même région de l'aire de Broca alors que chez les bilingues tardifs, L1 et L2 ont activé des régions voisines, mais différentes. Ces résultats ont conduit les auteurs à  conclure que l'âge d'acquisition affecte l'organisation fonctionnelle du langage dans le cerveau, en particulier l'aire de Broca.
Récemment, d'autres travaux sont arrivés à  des conclusions différentes, cette fois en se centrant sur le niveau de maàtrise d'une seconde langue (et non plus sur l'âge d'acquisition). Selon Arturo Hernandez et Ping Li (2), les sujets ayant une maàtrise élevée de leur bilinguisme activent les mêmes zones cérébrales quelle que soit la langue qu'ils parlent ou écoutent. Au contraire, ceux qui maîtrisent moins bien la seconde langue activent des zones différentes, et ce davantage en compréhension qu'en production.
Quelques recherches très nouvelles s'intéressent au degré de similitude entre les langues du bilingue, en particulier dans la morphologie. Dans une synthèse récente (3), certains chercheurs concluent que les aires activées sont les mêmes lorsqu'il y a similarité entre les langues, . Du point de vue fonctionnel, une découverte fondamentale réside dans le fait que les deux langues sont constamment activées et disponibles. Pour prévenir les interférences, des activités de contrôle exécutif (inhibition, attention sélective, rapidité de changement) sont nécessaires et assurées par un réseau de structures impliquant le cortex préfrontal. Ce réseau est mis en place très précocement chez les bilingues simultanés.


Changements structuraux


L'expérience bilingue a donc un impact sur les structures anatomiques du cerveau

. Toute la question est alors de savoir quels en sont les effets. être bilingue aide-t-il à  mieux apprendre, mieux mémoriser, mieux se concentrer, voire à  mieux penser ? Ou au contraire cela ralentit-il certaines acquisitions ?
Des travaux récents d'Ellen Bialystok et ses collègues (4) ont montré l'avantage des bilingues dans le contrôle exécutif (planifier, passer d'une tâche à  l'autre ou en mener plusieurs de front. Les bilingues âgés de 5 à  9 ans réussissent mieux que les monolingues dans les tâches métalinguistiques o๠il faut décider que la grammaire est correcte en dépit d'une absence de sens de la phrase, ce qui est difficile à  cet âge oà le sens est un puissant attracteur.
De nombreuses tâches cognitives impliquant des indices conflictuels ou des changements de règle d'un essai à  l'autre, sont maàtrisées plus précocement par les enfants bilingues que par les monolingues.

Le bilinguisme a en outre des effets neurocognitifs tout au long de la vie

, contribuant à contrecarrer le déclin du volume de la matière grise au cours du vieillissement. Une recherche a montré que bilinguisme retarde de quatre à  cinq ans l'apparition des symptômes de la maladie d'Alzheimer. L'hypothèse serait que l'expérience bilingue prolongée maintiendrait l'intégrité de la matière blanche notamment dans le corps calleux et une connectivité fonctionnelle plus distribuée dans les régions frontales que chez les monolingues. Les mécanismes neuronaux qui sous-tendent cette protection sont encore largement méconnus de même que l'on ignore si la pratique de plusieurs langues pourrait accroàtre cette protection.

En conclusion, l'étude de la neuroplasticité en fonction de l'acquisition bilingue prône en faveur d'un enseignement précoce des langues, en même temps quâelle fournit une fenêtre sur le caractère adaptatif du cerveau humain et de la cognition.

Stimuler son intelligence grâce aux langues


Et s'il suffisait de travailler son anglais pour gagner de la matière grise ? C'est ce que suggère une étude récente publiée dans le Journal of Neuroscience (5). Les chercheurs ont fait suivre un entraànement du vocabulaire anglais pendant seize semaines auprès d'enfants japonais qui ont commencé l'apprentissage de l'anglais à 11ans. Après l'entraànement, les apprenants montrent une augmentation de la densité de la matière grise et de la substance blanche dans le gyrus frontal inférieur droit. Un suivi scan un an après montre que la densité de la matière grise est revenue au niveau préentraànement chez les bilingues qui nâont pas poursuivi l'apprentissage, mais continue à  augmenter chez ceux qui ont exercé leur vocabulaire. . Cette plasticité nous renvoit à  l'aphorisme â« use it or lose it â» (â« on sâen sert ou on le perd â»). c'est pourquoi les musiciens et les athlètes sâentraànent ! Consciemment ou inconsciemment, le cerveau bilingue doit constamment choisir.



Bibliographie


Michèle Kail Directrice de recherche au CNRS, spécialiste de l'acquisition du langage. Dernier ouvrage paru : L'Acquisition de plusieurs langues, Puf, coll. â« Que sais-je â», 2015.

Liens bilinguisme

https://www.courrierinternational.com/article/education-grandir-dans-un-milieu-bilingue-developpe-les-capacites-cognitives

http://developpement-langagier.fpfcb.bc.ca/fr/bilinguisme-les-jeunes-enfants